Le bip criard du réveil me sort du refuge qu'était mon sommeil à grand coup de pied dans le derrière. La tête dans l'oreiller, les yeux encore clos et même peut être la bave au coin de la bouche, je cherche à taton sur ma table de chevet l'objet de malheur qui me vrille les tympans de sa sonnerie insuportable. Quand j'arrive enfin à l'atteindre, je laisse s'abbatre ma main, y mettant toute la force d'un poids mort, tout en grommelant. Une fois le silence revenu, je m'emmitoufle bien au chaud dans mes couvertures, et en quelques secondes, sombre à nouveau dans les bras de Morphée.

~~~

Les membres engourdis, la tête lourde, j'émmerge difficilement. Je me frotte les yeux, puis m'étire de tout mon long. J'ai l'impression de me reveiller d'un sommeil de 100 ans. En baillant, je me retourne vers mon reveil.

Oh...

8h30.

Oh, oh...

La grille du lycée se ferme dans 10 min. J'ai intérêt à me dépêcher !

Sautant en dehors du lit, je prend une douche éclair en 1 minute 30 chrono. Je m'habille, me coiffe en même temps, puis je déboule en dehors de la chambre. Bien sûr, c'est quand on est le plus pressée qu'on galère le plus avec ces fichus trousseaux de clés. Quand j'arrive enfin à verrouiller la porte, j'ai droit à mes cours de sport en avance avec un sprint jusqu'à la cour du lycée. Une fois passée les grilles, je m'arrête pour reprendre mon souffle. Quel superbe reveil, je crois que je n'aurais pas imaginer mieux. A moins peut être de se prendre un seau d'eau sur la figure, je crois qu'on peux difficilement faire pire.

Je me presse donc de rejoindre ma classe. Et comme je le présageais, j'arrive en retard. Le professeur, que je n'ai encore jamais vu, me lance un regard assassin.

- Je... Désolée, je n'ai pas entendu mon reveil et..

- A votre place, Mademoiselle la retardataire.

Bon, en plus d'être fichée dans la mémoire du prof comme "délinquante en devenir", je suis affichée devant toute la classe, et ce dès le début de l'année. Je commence bien ! Dire que j'avais réussi à être plutôt discrète les premiers jours, à peine la première semaine passée, et il faut qu'il m'arrive un truc pareil. Je te hais, saleté de réveil !
Me faisant la plus petite possible, je pars m'assoir à mon bureau en évitant le plus possible les regards de mes camarades, et en occultant les gloussements par ci par là.

Je sors mes affaires, le prof commence son speech.

- Bonjour à tous. Je suis Monsieur Koji, votre professeur d'art. Nous allons nous voir peu cette année, à raison de deux heures, une semaine sur deux...

Ca y est, j'ai décroché. Sa voix m'insuporte et je le trouve tout à fait ininteressant. De toute façon, c'est toujours la même chose : " Vous êtes en 3ème année blablabla, votre diplôme blablabla, l'honneur de l'établissement, et infos complémentaire en ce qui concerne la matière "
Tous les profs ont un discours type de début d'année avec juste des blancs à remplir avec leur infos personnelles ou quoi ?

Je soupire, déjà blasée par la journée qui commence.

- Bon, aujourd'hui, comme vous devez peu vous connaitre, je vous propose de vous mettre par deux et de faire chacun le portrait de l'autre.

Un exercice classique. On fait ça quasiment à chaque début d'année. Enfin, je doute que ça soit vraiment nécessaire. En troisième année, la plupart des gens se connaissent déjà plus ou moins, à part les rares nouveaux qui arrivent à partir de ce grade. C'est mon cas.

Je reste à ma place en passant la salle du regard. Comme j'en faisais l'hypothèse, les groupes se forment vite. Pour ma part, ça m'est un peu égal. N'importe qui fera l'affaire, je ne connais personne encore alors ça revient au même pour moi. Du coup, en attendant, je passe en revue les visages de tout le monde en tentant d'y raccorcher un nom. Grace à l'appel, j'en ai retenu la plupart, mais rien ne vaux un petit exercice de mémoire.

Mon regard fini par se poser sur une autre élève, assise elle aussi à son bureau, qui semble occupée à l'observation de la masse d'élèves grouillante et bruyante, tout comme moi. Fouillant dans mon esprit, j'arrive difficilement à remettre le doigt sur son nom. Himiko... Himiko... Je sais que ça se termine par Ki, mais pas moyen, ça ne me revient pas.
L'interessée, ayant surement remarqué que quelqu'un la fixait avec insistance, se retourne vers moi. Ce qui a pour effet de me faire détourner les yeux, comme si j'étais coupable de quelque chose.

- Hey, Aiko. Tu veux bien te mettre avec moi ?

Je relève mes mirettes sur une fille se tenant devant mon bureau. Karin Smith. Une petite blonde apparemment importée tout droit d'Amérique, comme on peux facilement le reconnaitre à son accent et sa manière peu conventionnelle d'interpeler les gens.
Je m'apprête à lui répondre, mais j'hésite. Pourtant, ça m'est égal, du moins, c'est ce que je pensais au début. Cette Himiko m'intrigue, en quelque sorte. Elle me rend curieuse.
Je soupire intérieurement. Décidément, je suis une vrai girouette. Il suffit d'une petite chose pour me faire changer d'avis.

- Désolée Karin, je pensais me mettre avec quelqu'un d'autre.

Après lui avoir fait un sourire désolé, je me lève de ma chaise et m'approche du bureau d'Himiko. La jeune fille brune semble me jauger de derrière ses lunettes. Je prend une inspiration.

- Hum.. Salut. En fait, je me demandais si tu voulais bien te mettre en binôme avec moi, pour l'atelier ?

Debout devant son bureau, je tente de rester le plus concentrée et agréable possible. J'essaye de rester impassible devant la petite brune qui me toise comme si je venais de sortir d'un vaisseau extraterrestre.

Mais dans le fond, je sens l'anxiété prendre de plus en plus de place. Vous savez, ce sentiment désagréable que vous avez quand vous vous retrouvez devant le tableau à faire un exercice que vous n'avez pas préparé, et bien sûr que vous ne comprenez pas. Ou alors, que vous êtes devant un public quelquonque et qu'on vous fixe après que vous ayez fait une blague qui n'a pas eu l'effet escompté.
Voilà ce que je ressent. Et l'expression plus que perplexe sur le visage d'Himiko renforce ce sentiment de mal-être.
Les seules choses qui trottent dans ma tête pendant ces longues secondes sont "Pourquoi je ne suis pas restée à ma place ?" ou encore "Tu aurais mieux fait de fermer ton clapet et d'accepter la proposition de Karin".
Depuis le début de l'année, c'est la première tentative d'approche que j'initie. D'habitude, j'attend toujours qu'on vienne à moi. Qu'est ce que je vais faire si elle refuse ?

Semblant sortir de sa réfléxion, Himiko me répond par quelque chose auquel je ne m'attendais pas.

- Pour quoi faire au juste ?

Pour quoi faire ? La réponse à sa question me semble tellement évidente que j'ai l'impression que c'est plutôt un moyen de me faire comprendre qu'elle ne veux pas se mettre avec moi.
J'ai l'air maligne, à avoir rejetté quelqu'un et maintenant me retrouver moi-même larguée. Je n'aurais pas dû y aller avec autant de confiance et j'aurais dû garder un plan de secours. Quelle idiote je fais.
Crispée au possible, je met à part le possible rejet déguisé que pouvait signifier sa question et lui répond avec toute la sympathie dont je suis capable.

- Et bien, on doit se mettre par deux et faire chacune le portrait de l'autre. Et comme tu étais toute seule, hum... Bah.. Je me disais que...

Ma phrase se perd au fur et à mesure qu'elle avance pour mourir avant sa fin. Je suis tellement stressée que je n'arrive même pas à parler correctement, ça craint !
Déglutissant, je regarde mon interlocutrice qui semble en train de peser le pour et le contre. Est-ce qu'au final, j'ai une petite chance ? Soudain, elle relève la tête vers moi et affiche un... sourire ? On peux voir à des kilomètres qu'elle s'efforce de le faire, mais bon, c'est l'intention qui compte. Enfin, je crois ? Au pire, ça ne coute rien d'être un peu optimiste et de prendre ça comme une bonne chose.

- Mh.. C-comment t'appelles-tu déjà ?

Je la regarde, étonnée. C'est drôle, mais j'ai l'impression qu'elle me surprendra à chacune de ses phrases. Comme si nos modes de pensées étaient si différents que sa manière d'agir m'échapperait totalement. Que pour le moment, sans la connaitre, il me serait impossible de prévoir ses réactions. C'est vraiment étrange. Et à la fois curieux, interessant. Mais aussi très destabilisant.
Je m'empresse de lui répondre.

- Ah, euh, Kagawa Aiko, enchantée.

Par reflexe et sans y avoir vraiment pensé, je tend la main par habitude. Ce n'est qu'une fois le geste fait que je me rend compte de l'erreur de débutante. Les japonais n'aiment pas le contact, quand vas-tu te graver ça dans la caboche, Aiko ! Aaah... Et maintenant, il est trop tard pour la retirer, malin !

Oh tiens, je l'ai mise mal à l'aise, finalement mon sourire d'andouille a été rattrapé on dirait.

- Et bien, on doit se mettre par deux et faire chacune le portrait de l'autre. Et comme tu étais toute seule, hum... Bah.. Je me disais que...

Des portraits?.. Mon dieu moi qui pensais me faire aider, c'est fichu. Je suis encore dans une situation délicate il semblerait.

- Ah, euh, Kagawa Aiko, enchantée.

Je fus étonnée de par le fait qu'elle me réponde d'une façon aussi peu convaincue accompagnée d'un geste qui implique un contact. Je sais bien que je suis étrange au possible m'enfin tout de même, je ne suis pas désagréable à regarder aux dernières nouvelles, je passe même généralement inaperçu. Qu'est-ce qui peut bien la déranger à ce point dans ce cas?.. Serait-ce ma façon de communiquer?
Je mis rapidement fin à ma réflexion qui n'arrangea rien, bien au contraire même et je passai timidement ma main droite derrière ma tête afin de gratter celle-ci tout en lui répondant d'une voix effacée, le regard détourné d'elle.

- Enchantée également..

Comment peut-elle me mettre mal à l'aise? Je commençai à douter de mes capacités de réfractaire dans l'âme; ma carapace à toutes épreuves serait-elle arriver à sa limite?.. Non, pas pour si peu, pas si vite. Alors quoi?
Je pris la décision de me concentrer sur cette Aiko, car me faire perdre mon arrogance et mon désintérêt en 5 petites minutes, c'est juste anormal, et pour le coups assez frustrant.

- Kagawa-san alors; c'est ok.

Je repris un ton totalement monotone, et remis de nouveau mes lunettes en place. En espérant qu'elle comprenne que mon "ok" signifie que je suis d'accord pour me mettre en binôme avec elle..

Toujours la main tendue, je fini par la retirer quand je vois la tête perplexe d'Himiko. Me frottant l'arrière de la nuque, je laisse échapper un petit rire gêné alors que mes joues s'empourprent.

Si vous saviez à quel point je me sens bête ! C'est même plus un vent à ce niveau-là, c'est une tempête tropicale !

Mon visage s'illumine cependant quand j'entend ces deux petits mots : "C'est ok".
Une vague de soulagement m'envahit. Au final, je n'ai pas autant raté que je le pensais, si elle a fini par accepter.
Tout sourire, je lui lance avec engouement :

- Super ! Je vais chercher le matériel sur le bureau du prof, je reviens.

Je me dirige donc, presque trotinnante, tout en slalommant entre les groupes d'élèves vers le bureau du roi des gargouilles en personne. A y regarder de plus près, ce surnom lui sied plus qu'on pouvait l'imaginer. Son crâne dégarni, son nez presque crochu et cet air cruel presque toujours figé sur son visage. Il lui manque plus que des ailes et des oreilles pointues et le tour est joué.
D'un ton sec, il me crache son venin comme pourrait le faire un cobra sur sa proie.

- Il semblerait que même ceux qui enfreignent le règlement trouvent des compagnons de travail. J'espère en tout cas que votre mauvaise influence ne s'étalera pas sur votre camarade. Je vous ai à l'oeil.

J'attrappe les feuilles et les plaques supports en bois du bout des doigts et m'éloigne du monstre le plus vite possible. Sérieusement, ce mec est fou, à l'entendre on croierait que je viens de brûler le lycée. Ca existe encore les gens psychorigides comme ça ?!
Et en plus il me fout les jetons à me fixer de ces yeux vitreux. Brrr, je sens que les cours d'arts vont être une partie de plaisir.

Je prend ma trousse au passage à mon bureau et me présente à nouveau à Himiko. Après avoir demandé la permission à son voisin, je m'assois à sa place. Nous voilà l'une à côté de l'autre. Je lui tend les affaires que j'ai été chercher, presque au péril de ma vie à cause de la gorgogne qui les gardait.

- Tiens. Je suppose qu'on peux commencer maintenant.

Baissant les yeux sur ma feuille, je me sens soudain assez nerveuse. Dans un moment comme ça, on doit plutôt essayer d'engager la conversation non ? Ca serait vraiment étrange si on passait tout le cours sans se dire un mot. Du coup, je tente une approche.

- Hum, sinon, tu es à l'aise en dessin ?